Optimiser les chaînes logistiques de la biomasse agricole
Article paru dans le Bioénergie International n°51 de septembre-octobre 2017
Hangar de stockage de miscanthus, photo Colin-Energies
Le développement des filières de valorisation des coproduits agricoles offre de nouvelles opportunités de diversification aux exploitations agricoles. Apportant un revenu complémentaire aux activités de collecte et de transformation, elles sont un atout pour le secteur agricole. Toutefois, pour être compétitives, notamment face aux énergies fossiles, les filières biomasse doivent continuer à innover et à optimiser leurs processus. Une étude portant sur l’optimisation des filières logistiques biomasse agricole a ainsi été réalisée par les partenaires du Réseau Mixte Technologique (RMT) Biomasse et Territoires, dans une volonté d’accompagner les porteurs de projet dans la mise en place de leurs chaînes de valorisation.
Taillis de saule récoltés au Biobaler, photo Chambre régionale d’agriculture des Hauts-de-France
Par le terme très générique de biomasse agricole, les acteurs des différentes filières impliquées désignent l’ensemble des coproduits, déchets, cultures énergétiques, pouvant être utilisés à d’autres fins que les fins alimentaires (humaines ou animales). La biomasse agricole regroupe donc un ensemble de matières hétérogènes, aux propriétés, rendements ou itinéraires culturaux variés. À cette grande diversité de matières premières peut être associée une aussi grande diversité d’utilisations. La méthanisation, la filière matériaux biosourcés, la combustion ou la production de biocarburants trouvent ainsi leurs lettres de noblesse sur le marché de la biomasse agricole alors que d’autres voies de valorisation sont, par exemple, explorées en chimie verte ou en pyrogazéification.
Des chaînes logistiques complexes …
Culture principale, résidu ou coproduit, matière sèche ou humide, densité faible, dispersion des parcelles agricoles ou production de la matière première sur un site industriel, à destination d’une filière à plus ou moins haute valeur ajoutée, dépendant ou non de normes précises … La complexité des chaînes de valorisation de la biomasse agricole est aussi variable que ses propriétés et ses débouchés. La logistique induite doit pouvoir s’adapter à cette complexité. L’organisation des chaînes de valorisation doit ainsi être réfléchie en amont par les porteurs de projets.
Ensilage d’herbe à éléphants, photo Chambre régionale d’agriculture des Hauts-de-France
Qu’est-ce qu’une chaîne logistique ?
La logistique représente l’ensemble des moyens permettant de collecter et d’acheminer la matière au consommateur à partir de la parcelle agricole, conditionnée par le cahier des charges de l’utilisateur final. Elle regroupe un ensemble de moyens matériels (engins de récolte, camions, zones de stockage) mais également techniques (outils de modélisation ou de traçabilité) ou humains (organisation des tournées, gestion du personnel) permettant de répondre à la demande du client.
Les principaux acteurs pouvant être impliqués à chaque étape de la chaine logistique.
Une vraie plus-value dans l’optimisation des processus …
Il faut dire que les enjeux sont grands. L’organisation de la chaîne logistique influence drastiquement les coûts, permettant d’augmenter la rentabilité des filières et de pouvoir faire face à la concurrence d’autres usages. La logistique est ainsi un gisement de valeurs ajoutées, mais sa gestion est complexe. Avant tout, la logistique doit être adaptée, aucun modèle général ne pouvant être utilisé tel quel. Elle va dépendre de réglementations locales, de l’acceptation des riverains, de la valorisation d’infrastructures existantes, de l’éparpillement des parcelles et de la volonté des agriculteurs à travailler ensemble pour le développement de cette nouvelle filière. Le porteur de projet doit donc travailler avec ses parties prenantes pour lancer son projet, recevant le soutien des acteurs locaux et réussissant à convaincre ses détracteurs du bien-fondé de sa démarche.
Pressage de miscanthus avec presse Kuhn, photo Chambre régionale d’agriculture des Hauts-de-France
… mais un vrai manque d’informations sur leur organisation
En s’intéressant aux processus d’optimisation logistique des filières biomasse agricole, les membres du RMT Biomasse et Territoires ont fait le constat d’une quasi absence d’information du champ à l’entrée sur site de valorisation, que ce soit en termes technologiques ou de coût. Les filières de biomasse-énergie étant relativement nouvelles et les projets actuels isolés et ponctuels, aucune étude ne permet de mettre en évidence les connaissances acquises.
Pressage de panic érigé, photo Chambre régionale d’agriculture des Hauts-de-France
En s’appuyant sur une vingtaine de sites des filières méthanisation, combustion et matériaux biosourcés, ainsi que sur les documents existants, les partenaires de l’étude menée en 2016 ont établi des recommandations, principalement à destination des porteurs de projets de petite et moyenne dimension ayant diversifié leur activité.
Cinq recommandations aux porteurs de projet
Le stockage et le tri des céréales génére des sous produits appelés issues de silos, photo Coopénergie
1- Partir du cahier des charges du client pour bâtir son projet : il conditionne l’organisation de l’ensemble des étapes de la chaîne logistique. Les différentes étapes de sa chaîne d’approvisionnement n’ont vocation qu’à faire correspondre les propriétés de la matière première et la demande du client. Il est donc essentiel d’avoir à sa disposition des informations précises sur les caractéristiques de la biomasse agricole ainsi qu’un cahier des charges détaillé du consommateur final avant de définir ses étapes de transformation, stockage, transport…
2- Prendre en compte la biomasse disponible et ses propriétés dès le montage du projet : la comparaison entre les propriétés de la biomasse disponible et la demande du client définissent les étapes logistiques à réaliser. Ainsi, une différence de saisonnalité entre les mois de production de la biomasse et la demande du client va entraîner des étapes de stockage ; les distances entre fournisseurs et consommateurs vont impliquer des étapes de transport ; une variation entre le taux d’humidité au champ et celui demandé par l’utilisation va entraîner une étape de séchage, etc.
3- Valoriser les structures disponibles sur le territoire ou monter des partenariats avec les entreprises possédant les équipements nécessaires au déploiement de la chaîne logistique. La valorisation d’infrastructures préexistantes permettra de réduire drastiquement les investissements nécessaires et d’ainsi augmenter la rentabilité du projet.
Stockage couvert de paille, photo Coopénergie
4- Optimiser un maillon de la chaîne de valorisation, ce n’est pas optimiser toute la chaîne. Les ruptures de charge peuvent intervenir à tout moment dans la chaîne logistique et sont particulièrement coûteuses (temps nécessaire, personnes et équipements mobilisés). Les goulots d’étranglement ralentissent quant à eux les étapes de la chaîne et contraignent les vitesses de production. Le porteur de projet se doit donc de garder une vision globale de sa chaîne et de s’interroger sur la nécessité des différentes étapes et donc des différentes ruptures de charge.
5- Bien comprendre les besoins des parties prenantes et travailler avec elles au déploiement du projet. Il est essentiel de prendre en compte les différentes attentes de chacun des acteurs de la chaîne logistique, qu’ils supportent ou s’opposent au projet. Il est à noter que les attentes des parties prenantes ne sont pas toutes économiques : réduction de pollution, gestion des nuisances, développement des énergies renouvelables, création de nouveaux marchés ou d’emplois sur le territoire sont autant d’externalités positives qui peuvent intéresser les partenaires.
Stockage extérieur de paille de céréale, photo Coopénergie
Les principales propriétés des différentes options de stockage de la biomasse agricole
TYPE DE STOCKAGE
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AVANTAGES
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INCONVÉNIENTS
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COÛT (base balle carrée standard)
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CONDITIONNEMENT A PRIVILÉGIER
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Bord de champ (ou sur sol non bétonné)
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Coûts faibles (manutention essentiellement)
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Pertes de matière au stockage, humidité difficile à contrôler
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< 5 € / t / an
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Vrac, balle ronde ou carrée
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Dalle béton, couvert ou non par une bâche ou un géotextile, ventilé ou non
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Investissement limité, adapté au stockage de courte durée pour de la biomasse sèche, ou pour le stockage de biomasse humide sous forme d’ensilage sous bâche.
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Volume limité, sensible aux conditions climatiques, une bâche abimée peut dégrader la qualité de la biomasse.
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5 à 7 € / t / an
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Vrac, balle ronde ou carrée
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Sous hangar, ventilé ou non
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Sécurisé, protège des conditions climatiques, adapté au stockage de la biomasse sèche
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Investissement important, considéré comme site ICPE si le volume stocké est supérieur à 1 000 m3.
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10 à 15 € / t / an
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Vrac, balle, granulés
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En silo vertical, ventilé ou non
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Emprise au sol limitée, sécurisé, adapté pour le stockage de biomasse fluide (type granulé) pour faciliter les opérations de chargement / déchargement.
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Investissement important, ne convient pas aux biomasses humides, considéré comme site ICPE si le volume stocké est supérieur à 1 000 m3.
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12 € / t / an
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Granulés, biomasse fluide
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Rafles de maïs, photo Chambre régionale d’agriculture des Hauts-de-France
Densification, quel format choisir ?
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Atouts
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Contraintes
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Format vrac
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Réduit les coûts de prétraitement
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Augmente les coûts de transport
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Granulés
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Facilite le stockage
Réduit les coûts de transport
Stabilise la matière (disponible sur l’année)
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Coût important lié au séchage et à la granulation de la matière
Pas de préservation des fibres
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Briquettes
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Coût inférieur à celui des granulés
Facilite le stockage
Réduit les coûts de transport
Stabilise la matière (disponible sur l’année)
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Coût important lié à la densification de la matière
Pas accepté par tous les appareils en combustion
Pas de préservation des fibres
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Balles
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Facilite le stockage
Réduit les coûts de transport
Réalisé sur la parcelle (début de chaîne de production)
Moins énergivore que les granulés
Conserve les fibres de la matière
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Opération d’ouverture, coupe des ficelles entrainent un coût supplémentaire.
Densification réduite par rapport aux granulés
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Plaquettes
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Facilite le stockage
Réduit les coûts de transport
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Pas de préservation des fibres
Uniquement sur les matières ligneuses
Volume conséquent
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Production de briquettes de paille sur champ, photo Chambre régionale d’agriculture des Hauts-de-France
Des outils pour accompagner les porteurs de projet
Le projet propose ainsi aux porteurs de projet différents outils pour les guider dans la construction de leur chaîne d’approvisionnement :
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Cinq fiches outils – équipements présentent un large panel d’informations issues de la littérature et de publications associées.
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Des fiches retours d’expériences synthétisent les entretiens réalisés avec des porteurs de projet.
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Un guide pour la mise en place d’une chaîne logistique biomasse reprend l’ensemble des recommandations des partenaires du projet tout au long des différentes étapes de la chaîne logistique. Il s’articule autour de neuf parties : récolte, collecte, stockage, transport, manutention, prétraitement, rédaction des contrats et évaluation de sa chaîne logistique.
Ces outils sont disponibles sur le site www.biomasse-territoire.info
Enjeux de développement et travaux à venir
Les étapes de récolte et de conditionnement sont un levier essentiel des chaînes logistiques, premiers facteurs d’économie tout au long de la chaîne de production. Ces étapes restent toutefois difficiles à travailler et des technologies adaptées peinent à se développer. Par ailleurs, les coûts associés aux diverses étapes des chaînes de valorisation, et principalement ceux imputés au stockage restent peu connus. C’est pourquoi, sur la période 2017 – 2018, les membres de l’axe logistique du RMT se sont donnés pour mission de proposer aux porteurs de projet une calculette permettant d’estimer les coûts d’une opération logistique biomasse mais également de comparer différents scénarios pour choisir le plus optimisé.
Les sarments et charpentes de vigne constituent un biocombustible de qualité, photo Frédéric Douard
Afin de répondre de façon plus opérationnelle aux besoins des filières, des groupes de travail sur les filières menues pailles et sarments de vigne sont également proposés, afin de faire travailler ensemble les différents acteurs intéressés par le développement de nouvelles voies de valorisation pour ces coproduits.
Objectif du RMT : faciliter et accompagner le développement des filières de valorisation de biomasse locales d’origine agricole en prenant en compte les spécificités et ressources des territoires
Le RMT Biomasse et territoires regroupe et mobilise au niveau national des connaissances et compétences pluridisciplinaires, du champ à l’usine et plus de 70 partenaires associés.
Les trois priorités travaillées de 2014 à 2018
1- Préciser, objectiver, diffuser la connaissance sur la production et la mobilisation de la ressource en biomasse agricole ainsi que de ses usages actuels et à venir,
2- Optimiser le déploiement des filières sur le territoire : compétence, technologie, économie pour enclencher des leviers au coût « post-production » de la biomasse agricole,
3- Connaître, évaluer les impacts environnementaux et sociaux et les retombées positives des filières biomasse sur les territoires économiques et milieux naturels afin de les faire valoir.
Soutenue par FranceAgriMer et l’ADEME, cette étude a été menée par la Chambre régionale d’Agriculture des Hauts-de-France, Coopénergie, Arvalis, l’Institut du Végétal, Trame et cordonnée par Services Coop de France.
Pour en savoir plus : Elodie NGUYEN, Chambre Régionale d’Agriculture Hauts-de-France – Amiens – Tél: +33 322 33 69 53 – e.nguyen@hautsdefrance.chambagri.fr – www.biomasse-territoire.info